Causerie sur le lemming

            Comment raconter ou même décrire Causerie sur le lemming ?La pièce de François-Michel van der Rest et Élisabeth Ancion se présente comme une conférence. Pas de décor, guère d’accessoires : une table avec quelques livres et un rétroprojecteur, une chaise, un écran légèrement en retrait.

Voici que, traversant la salle, arrive le conférencier. Il monte sur la scène, quelque peu intimidé, semble-t-il ; il sourit, adresse au public des mots de bienvenue, le remercie d’avoir affronté le mauvais temps pour venir l’écouter, puis il introduit son propos : il va parler du lemming.

La causerie débute. Elle ne suivra jamais un déroulement linéaire. À tout moment, le conférencier s’interrompt, commente, entame une digression, revient à son sujet, insiste, répète, s’échappe à nouveau dans une nouvelle direction, reprend le fil, se passionne, mime avec force gestes, loquace, drôle, agité, inquiétant puis tragique, devenu le lemming emporté avec ses congénères dans une ruée irrépressible et mortelle.

Qu’est-ce que le lemming ? Un petit rongeur des régions septentrionales qui se nourrit principalement de lichens, n’hiberne pas mais dont l’espèce se reproduit abondamment quand l’hiver lui impose de se réfugier dans les terriers. De la sorte, certaines années les lemmings pullulent et, poussés par la faim, effectuent des migrations massives en direction des plaines, franchissant les fleuves et même les fjords, se précipitant vers la mer où ils tombent en masse. On a pu interpréter ces comportements comme des suicides collectifs.

Pénétré de son sujet, érudit, le conférencier décrit le lemming, en dessine un croquis qu’il projette, dépeint la blancheur des contrées arctiques en désignant l’écran vierge d’indications, justifie d’un sourire entendu, bien qu’un peu gêné, l’instinct de reproduction des petits rongeurs, exacerbé par leur long enfermement hivernal. Mais bientôt la vie des lemmings, les nombreux parallèles, perspectives et digressions qu’elle a fait naitre au long de la causerie acquièrent une intensité dramatique. Et nous mesurons alors que la promiscuité, l’instinct de survie ou, à l’inverse, la folie suicidaire des lemmings présentent bien des points communs avec la condition humaine.

François-Michel van der Rest incarne à merveille un conférencier sympathique, farfelu et un peu brouillon, sorte de Jacques Tati/Monsieur Hulot de la parole. Un vrai contact s’établit entre lui et le public, donnée essentielle pour un « seul en scène » pleinement abouti. Licencié en philosophie et en études théâtrales, comédien (théâtre et cinéma), metteur en scène, il est membre fondateur d’Impro-Visé.

Élisabeth Ancion a été formée à l’Insas. Metteuse en scène, dramaturge et costumière, elle est plongée jusqu’au cou dans le monde du théâtre et du cinéma. Elle a notamment co-scénarisé et réalisé les costumes du prochain film de Bouli Lanners, Les Géants. On lui doit la mise en scène de la Causerie sur le lemming.

La pièce a été créée au Festival Émulation de Liège en 2008 et jouée au Théâtre des Doms lors du Festival d’Avignon de 2009. Depuis le départ, elle a rencontré un succès unanime. Le Rideau de Bruxelles (au Studio du Palais des Beaux-Arts) qui l’avait mise à son programme en décembre 2010, l’avait retenue comme spectacle de fête pour la dernière soirée de l’année. Un choix heureux : la Causerie et François-Michel van der Rest ont fait salle comble.

Claire Anne MAGNÈS

 

Ce texte applique les rectifications orthographiques de 1990.

 

Chronique parue dans La Revue générale, 147e année, n° 2, février 2011, pages 85-87.